Bons baisers de Bordeaux
Samedi 14 mars 2009 : avec la SNCF, c’est possible. Alors que je patiente depuis plus de deux heures en rase campagne toulousaine, je repense à ce slogan qui prend soudainement tout son sens. J’entends une passagère qui explique avec dépit que c’est un accident sur un passage à niveau qui nous met dans cette délicate situation. « S’il y a un mort, c’est une heure d’attente. S’il y a en deux, c’est deux heures ! » ne cesse-t-elle de répéter. La conviction qu’elle met dans ses propos à la rigueur scientifique me convainc à espérer qu’aucun bus ne soit engagé dans cette sombre affaire. Pitoyable pensée. Car, évidemment, le nombre d’heures me gênerait plus que le nombre de victimes.
Nous arrivons finalement en gare de Bordeaux avec deux heures trente de retard. Aux deux morts ont certainement du s’ajouter quelques blessés, pensai-je.
Une fois n’est pas coutume, je me félicite que le match auquel j’assisterai ce soir soit retransmis sur les téléphones portables d’Orange. Ce qui induit un coup d’envoi à 21h, soit trois heures plus tard que l’horaire habituel. Si je n’aurai pas le loisir de faire du tourisme, je serai au moins dans les temps pour mes rituels d’avant match et tout ce qui s’en suit.
Douze heures passées sur un chemin de fer, ça rouille forcément un peu les guiboles. Et je me sens évidemment tout bizarre lorsque je sors de la gare. Il me faut pourtant faire fonctionner ma cervelle et mon sens de l’orientation afin de trouver illico le chemin de l’hôtel.
C’est la première fois que je mets les pieds dans cette ville. Une ville que j’imagine embourgeoisée, coquette avec une petite dose de suffisance. Un peu à l’image de son équipe de foot, en somme. Bref, une vision de supporter que j’ai hâte de confronter avec la réalité.
Me fiant à mon plan, je m’engouffre dans une petite rue face à la gare. Façades aux murs noircis, barre d’immeuble HLM, trottoirs jonchés de détritus, commerces alimentaires à l’hygiène douteuse : le ghetto n’est plus bien loin. Feignant une certaine nonchalance, je poursuis ma route, serrant cependant avec énergie mon sac chéri. Forcément, je tente d’imaginer avec appréhension à quoi pourrait ressembler l’hôtel qui va m’accueillir. Quelques centaines de mètres plus loin, tel un ange en enfer, un immeuble flambant neuf présente l’indéniable avantage d’abriter mon auberge. Je pose mes affaires, glisse mon écharpe et mon drapeau rouges et noirs dans ma poche et reprend rapidement ma route.
Le spectacle se poursuit. Alors que l’odeur des nombreux kebabs me parvient délicieusement aux narines, c’est une population multi ethnique qui donne vie à ce quartier décidément inattendu. Sur un fond de musique rythmée, l’épicier nord africain fait son commerce, la carte du chef asiatique vante ses nems, l’homme aux ciseaux soigne ses coiffures afro. La surprise passée, je me complais à contempler ce tableau fort contemporain.
Une sombre histoire de quiproquo avec mon plan m’éloigne tristement de mon objectif. Alors que je m’étais convaincu de me dégourdir les jambes en me rendant au stade à l’usure de mes souliers, je renonce lamentablement et grimpe dans la première rame de trame venue. Une vingtaine de minutes plus loin, me voilà à quelques enjambées de Chaban-Delmas. Je parle du stade, bien sûr.
Située en pleine ville, l’enceinte sportive girondine ne paye pas de mine. Elle est entourée de pâtés de maisons qui en cachent les principaux accès. De l’extérieur, j’aperçois les arcades qui en font sa particularité et qui lui confèrent des allures d’arènes. J’espère tout bas que l’aiglon s’en tirera à meilleur compte que le taureau.
Alors que je me présente devant le guichet de la tribune visiteurs, un individu à l’étrange veste fluorescente m’accoste. « Vous êtes niçois ? ». Serait-ce une question piège destinée à démasquer mon particularisme local ? Quoiqu’il en soit, j’assume puisque je suis un fada. « Vous avez une pièce d’identité pour le prouver ? » poursuit-il. Merde, le Comté a retrouvé l’indépendance et je n’ai pas été prévenu ? Je lui présente benoîtement ma carte d’identité de la république française. C’est la seule que je possède, en fait. Coup de chance pour moi, je suis né à Nice, ce qui satisfera mon Furher d’un soir. « Tiens, c’est le Club qui te l’offre ! » me lance-t-il en me tendant une invitation. J’ai bien pensé me mettre à genoux et implorer le grand dieu du Gym mais finalement, je m’en tiens à un très conventionnel « Merci ».
Je passe sans encombre la douane locale qui est pourtant à deux doigts coupe faim de me délester de mon précieux paquet de M&M’s. Alors que je grimpe vers la tribune tant désirée, j’entends déjà des chants qui me sont familiers. Pardon pour les âmes sensibles, mais ces « Bordelais enculés » et « Et Bordeaux, on vous baise » me réchauffent le cœur puisque ce sont autant de signaux qui prouvent que je vais retrouver des gars de la merveilleuse famille nissart.
Ils sont une vingtaine de supporters à s’être déjà allègrement installés dans le parcage. Le territoire est marqué par l’étendage de multiples drapeaux et bâches aux couleurs rouge et noire. J’avoue être surpris par leur présence puisqu’un mot d’ordre de boycott de ce déplacement avait semble-t-il été lancé dans la presse locale par la BSN. J ’apprends que la plupart d’entre eux ont fait le voyage en « individuel », par le chemin de bitume ou de fer. Les stadiers niçois, presque aussi nombreux que nous, ont pris leurs quartiers tout en haut de la tribune, prêts à bondir pour remplir coûte que coûte leur périlleuse mission.
J’hésite quant à la conduite à tenir. Me joindre au Kop des poètes et crier avec eux ma fierté d’être niçois ? Rester à l’écart et apprécier tranquillement le spectacle ? Je décide de me donner quelques minutes d’utile réflexion avant de trancher cette question existentielle.
Chaban-Delmas ne m’émeut guère. Je parle encore du stade, bien sûr. Parmi tous les stades que j’ai eu la chance de découvrir cette saison, il mérite une attention particulière uniquement quant à sa capacité. Les imposantes tribunes situées derrière chacun des buts s’étalent trop longuement pour espérer impressionner l’adversaire. Sans compter la perte de visibilité pour ses pensionnaires.
Malgré les invitations lancées par les choristes, je décide de rester en retrait. Comme d’habitude, dirait les mauvaises langues. Pas du tout. J’adore chanter pour encourager le Gym. Inexplicablement, je ne parviens pas à trouver l’exaltation dans l’insulte du supporter adverse. C’est grave, docteur ?
Alors que les joueurs du Gym s’adonnent aux traditionnels exercices d’échauffement musculaire devant nos yeux ébahis, le Kop chante une petite chanson pour chacun des joueurs qui saluent à tour de rôle d’un petit signe de la main. C ’est touchant.
L’heure du match approche. La tribune des supporters bordelais, à l’opposée de la nôtre, est maintenant copieusement remplie. Les bannières commencent à se déployer, chacune reprenant une lettre afin de former le nom du groupe : « ULTRAS MARINE 1987 ». A l’entrée des joueurs, un fumi est claqué, le tout formant un superbe tifo. Aux couleurs se joignent les chœurs qui me font réellement très bonne impression. Parmi tous ceux que j’ai pu voir cette saison, ce virage a bien de la gueule, bougre !
Les efforts de notre valeureux kop sont réels et méritent toute ma compassion. Cependant, force est reconnaître que leurs chants peinent malgré tout à couvrir les cris irritants des gosses qui peuplent la tribune d’à côté.
Un stade bien garni et coloré, un ambiance festive, le Gym sur le pré : tous les ingrédients du bonheur du supporter sont réunis. La vie est belle. Un point, c’est tout. Les trois points, c’est mieux. Alors Remy, profil de gazelle, se démène sur le front de l’attaque. Mais l’énergie qu’il dépense à se créer des occasions affaiblit méchamment ses batteries. Et au moment de conclure, ses manettes ne répondent plus. Game over. Try again.
La garde niçoise abandonne notre colombien aux mains des artilleurs girondins qui s’en donnent à cœur joie pour le grand plaisir de la foule bordelaise en délire. Le Gym est mené, au léger désespoir, il faut le dire, de ses fervents. Je peine à ressentir l’émotion de la déception. Comme j’aurai peine à ressentir l’émotion de l’euphorie lorsqu’Habib, héros malgré lui de sa secioun, transformera le penalty de l’égalisation. Si le Gym me procure sans mal de la satisfaction, pour ce qui est de l’exaltation, on repassera. La saison prochaine, si tout va bien.
Généralement, je profite des mi-temps pour déguster les spécialités locales. Déception, les grands crus des vignes du coin ne figurent pas sur la carte de la buvette. Il en va ainsi de la vie du supporter qui doit savoir abandonner certains petits plaisirs afin de savourer celui, exclusif et majestueux, de l’amour de son équipe.
Le deuxième acte me plonge dans une douce mélancolie. Sans dominer, Bordeaux prend l’avantage, esquissant ainsi les premiers traits de mon dépit. Par son jeu ambitieux, le Gym fait naître l’espoir. Le genre de lueur si souvent entrevue cette saison et si souvent illusoire. Alors, un nouveau mirage ? Konio, mine désabusée, caméra en berne, tape la causette avec les stadiers au chômage technique. Le Kop ne trouve plus le cœur à chanter. Scènes de vie trop ordinaires dans le virage nissart.
Alors que les girondins fêtent leur victoire, les joueurs niçois viennent voir de plus près à quoi ressemble le visage de ceux qui les ont soutenus. Nous les accueillons avec des applaudissements parce que malgré tout, nous pouvons être fiers d’eux ce soir. Et que de toutes manières, comme le clame l’évangéliste Tchoa, Capo de la BSN « qu’il gagne ou qu’il perde, on supportera toujours le Gym parce qu’on a ça dans le sang. Alors fermez vos gueules, et chantez maintenant ! »
A la sortie du stade, nous avons droit à notre petit comité d’accueil, ou plutôt de départ, des supporters bordelais qui applaudissent cyniquement notre passage. Le cordon de CRS empêche malheureusement que nous puissions faire plus ample connaissance.
Après une nuit réparatrice passée dans le calme de mon hôtel de charme, je profite de la petite heure qu’il me reste avant le départ de mon train pour enrichir ma connaissance de la ville. Une visite qui me permet de constater qu’il existe bien des recoins en accord avec l’idée que je me faisais de cette cité.
Il est 18h lorsque je rejoins les quais que j’avais quittés la veille. Soit vingt heures sur les chemins de fer pour avoir la chance et le plaisir simple de partager, pour un moment encore, la vie du Gym. Putain de foot !
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Les jeux sont faits (Monaco)
Cet après-midi, j’achète fièrement deux bricoles qui me permettent de concevoir un drapeau de toute beauté dont le principal destin sera de flotter sur le scooter que je pars de ce pas emprunter à mon généreux paternel.
Il est près de 15h lorsque je rejoins le port de Nice, lieu de rendez-vous des supporters niçois pour un départ en cortège de scooters à destination de la prestigieuse Principauté.Giovanni m’attend déjà, lui qui m’a déjà laissé deux messages sur mon portable de peur de ne pas me retrouver sur place. Il faut dire que peu à peu, les mobylettes, scooters et autres motos se rassemblent pour constituer une jolie meute sur deux roues. Le tout encadré par la police nationale supposée nous escorter jusqu’à Monaco.
Nous sommes tous les deux bien excités à l’idée de faire partie pour la première fois de cette chevauchée fantastique et fanatique. Il est 15h30 lorsque le top départ est donné. Alors que j’essaie d’ouvrir le coffre du scooter afin de prendre le casque pour mon passager du jour, impossible d’ouvrir ce sale truc ! Les motos s’éloignent. Giovanni panique : « Ce n’est pas grave. Je ne mets pas de casque ! ». Hors de question. Une nouvelle et ultime tentative délivre le coffre en même temps que Giovanni. Monégasques, nous voilà !
Je n’en crois pas mes yeux. C’est une véritable horde sauvage qui se déploie. Combien sommes-nous ? Cent, deux cents, cinq cents ? L’odeur des pots d’échappement, le bruit des moteurs hurlants et des klaxons bloqués, les drapeaux dressés par le vent, le nuage provoqué par les fumigènes brûlés par dizaines : comme l’indique l’inscription sur un T.shirt d’un motard nissart : Attention, « zona vioulenta » !
La police tente avec difficulté de contenir le convoi dans ses rails. Nous avons en effet tendance à empiéter allègrement sur la voie de gauche. Les forces de l’ordre sont donc obligées d’interrompre la circulation pour permettre notre passage. Les automobilistes bloqués ne manifestent cependant pas de mauvaise humeur. Ils regardent interloqués ou amusés ce passage burlesque d’une bande de fadas. Les habitants sont aux fenêtres et assistent à cette déferlante inattendue. Je suis aux anges. « C’est un truc de fou !» s’exclame Giovanni tout en agitant fièrement notre étendard niçois.
Ici et là, des scènes que la loi ou la morale réprouve se déroulent sous notre regard surpris et amusé. Un gars sur son vieux 103 Peugeot de la grande époque fume tranquillement son joint... Un autre boit à la santé des passants avec sa cannette de bière à la main. Tel un mirage de la patrouille de France, un scooter se faufile à travers la troupe tous fumigènes allumés, le tout sous la protection des forces de l’ordre. Mieux, peu avant notre arrivée à Monaco, des gendarmes aident même quelques fadas à traverser la route pour aller soulager leurs douloureuses vessies contre les murs de rutilantes villas. Bref, c’est toute cette débauche qui s’abat sur Fontvieille, quartier d’affaires de la puritaine et snob Principauté et abritant accessoirement le Stade Louis II. Choc des genres. Choc des cultures.
Il est 17h lorsque nous arrivons devant le stade. Nous décidons d’aller traîner dans la zone commerciale qui se trouve à proximité. Le quartier est envahi de niçois. Les terrasses des snacks, les rayons des magasins, chaque coin de trottoir est drapé de rouge et de noir. Les quelques très rares porteurs de maillots monégasques se font gentiment chahutés. Les chants à la gloire du Gym et les discussions animées sous des accents ensoleillés fleurissent et confèrent à ces lieux austères et bétonnés un air joyeux et festif. Une preuve de plus que le foot sait encore apporter convivialité et bonne humeur.
Alors que nous regagnons le Louis II, un étrange personnage à la généreuse tignasse blanche passe devant nous. Petite particularité : il porte des skis aux pieds et roule à vélo. Je reconnais immédiatement « Le Berger ». Celui-là même que j’avais croisé au Havre pour l’ouverture la saison. Se positionnant ensuite au garde à vous, il entonne une vibrante et cinglante Nissa la Bella sous le regard forcément médusé des passants.
Un sandwich bien calé au fond de l’estomac, il me tarde maintenant d’accéder à notre tribune afin de passer aux choses sérieuses.
Nous sommes positionnés en Populaire « G », secteur regroupant les membres de la BSN. Si le stade a été conçu pour ne pas être remarqué, c’est une réussite. De dehors, il ressemble à un immeuble comme un autre. A l’intérieur, il est à l’image de la Principauté : élégant, chic et sécurisé. Ce n’est cependant pas le genre de stade que j’apprécie. Trop luxueux pour un sport si populaire. La piste d’athlétisme rapproche certainement le public des sprinteurs ou des marathoniens mais l’éloigne du terrain et des joueurs, donc du principal. Dommage pour une enceinte vouée principalement au foot.
Le stadier et la succincte fouille passés sans encombre, nous accédons à la tribune non sans avoir grimpé les 125 marches qui y conduisent. A noter que la tribune présidentielle est dotée d’escalators. Bienvenue à Monaco.
Toutes les places attribuées aux supporters niçois ont été vendues. Au final, ce sont quelques 6000 braillards qui vont donner de la chaleur et des couleurs à ce lieu d’habitude si froid et fade.
En face de nous, la tribune des fans monégasques. Ou ce qu’il en reste… Bizarrement, leur nouveau Président à trouver le moyen de se mettre à dos le peu de supporters qui soutiennent l’ASM ! Accusés de ne pas correspondre à l’image que le Club souhaite véhiculer, il a décidé de leur mettre des bâtons dans les roues, en leur interdisant par exemple toute vente de matériel à leur effigie à l’intérieur du stade. Du coup, les Ultras monégasques sont en grève ! Certains diront qu’on ne sentira pas la différence. Pas moi. Déjà qu’il doit être difficile d’être supporter d’un club comme Monaco, si en plus, ils n’ont même plus la reconnaissance et le soutien des dirigeants, il ne leur reste plus qu’à se jeter du rocher…
Je souhaite être au plus près du cœur de la fête. Nous choisissons donc une place en plein milieu de la tribune. Peu après, nous retrouvons Julien, le photographe que j’avais croisé au centre d’entraînement mardi dernier. Il connaît Giovanni et décide de se joindre à nous.
Le tifo niçois se répand pour l’entrée des joueurs. Les drapeaux sont déployés et les ballons rouges et noirs turbulents peuvent se propager dans le virage enfumé par les illégaux fumigènes. Nos chants peuvent enfin se faire entendre, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. La faute à un procédé machiavélique des monégasques qui ont positionné face à nous une sono si puissante qu’elle couvrait nos voix. S’ils avaient pu la laisser hurler pendant la rencontre, je pense qu’ils l’auraient fait sans sourciller !.
Si j’ai du mal à suivre les chants spécifiques à la BSN qu’il me faudra apprendre une bonne fois pour toute, je participe avec enthousiasme aux autres. Nous entamons un chant qui trouve son origine en Italie, comme d’ailleurs la plupart des chants repris par les ultras français. Nous laissons exploser toute notre énergie dans ces paroles dont l’écho transperce la nuit monégasque pour aller se fracasser tout là haut, jusque sur les murs du palais princier.
« Les Gens veulent Savoir
Qui Nous Sommes
Et Nous Le Leur Disons
Qui Nous Sommes
Brigade, Brigade, Brigade Sud !
On chantera, On chantera
Jusqu’à la mort on chantera… »
Alors que la partie a commencé depuis quelques minutes à peine, une erreur défensive monégasque toujours bienvenue nous permet d’ouvrir le score. Je suis heureux mais mon euphorie est modérée par le souvenir de désillusions vécues récemment… Le but aidant, les chants s’intensifient. « Je ne comprends pas pourquoi l’ambiance est meilleure ici qu’au Ray » s’interroge Giovanni. Je ne sais que répondre.
Quoiqu’il en soit, la puissance vocale du virage niçois est impressionnante, même si les nouveaux capo de la BSN semblent peu inspirés dans l’enchaînement des chants.
Depuis quelques matchs, l’équipe montre des difficultés à conserver un avantage. Ce soir n’échappera pas à cette sale règle. A quelques minutes de la mi-temps, les monégasques obtiennent un penalty qui leur permet de revenir au score…
Après une pause qui me permet de constater que tous les trônes de la principauté sont loin d’être faits d’or et d’argent, je reprends ma place dans l’attente du prochain moment d’extase. Il ne tardera pas.
L’hymne nissart n’a pas encore résonné ce soir. Je tends mon écharpe vers le capo, comme pour le supplier de le lancer dans un ciel qui n’attend que ça. Coïncidence ou pas, il s’exécute ! Six mille bras niçois tendent trois mille écharpes rouges et noires pour faire frissonner nos corps tendus vers l’équipe de nos désirs. Une vibrante Nissa Bella retentit.
Sur le terrain, les débats s’équilibrent. Alors que j’étais inquiet en première mi-temps, je ne ressens plus aucune tension durant la seconde. Contrairement à Giovanni qui semble vraiment anxieux. Pressentiment ou pas, le Gym prend l’avantage au score. Nous sommes bien évidemment heureux mais nous n’exultons toujours pas. « Probablement le syndrome de Lyon » me crie-t-il dans les oreilles. Serions-nous toujours traumatisés par le renversement de situation du match de Gerland ?
Comme d’habitude, le but marqué réveille encore un peu plus la tribune niçoise. Nous chantons et nous dansons à la gloire des joueurs, de l’équipe, du club. Je me lâche complètement, pris d’un excès de confiance inexpliqué. Toute la tribune semble d’ailleurs emportée par une joyeuse euphorie. L’humour faisant aussi partie du bagage du supporter niçois en déplacement, « L’héritier est congolais… » est entonné gaiement par les cyniques brigadiers du sud à l’attention de SAS…
Bref, cette bonne humeur fait plaisir à voir et semble si sincère que les joueurs monégasques n’auront pas le mauvais goût de la contrarier. Sentant probablement le peuple devenir trop heureux dans ce brouhaha festif et désordonné, le chef des forces de l’ordre prend peur et appelle toute sa ribambelle de petits soldats harnachés jusqu’aux dents.
Avec leur démarche de cow-boy, ils se positionnent en file indienne et font face à la tribune. Qu ’est-ce qui justifie leur présence à cet endroit et à ce moment ? Un supporter heureux qui chante et qui danse est-il obligatoirement un danger public ? Auraient-ils peur que les niçois sautent de leur tribune pour aller embrasser leurs héros d’un soir ? Et si c’était le cas, y aurait-il vraiment danger de mort ? Quoiqu’il en soit, la BSN préfère en rire et recevoir ce beau monde avec leur seule arme du soir : le chant et l’humour. C’est donc le refrain des « animaux du monde » qui les accueille…
Le match se termine. Au pays roi du Casino, les jeux sont faits et la boule a choisi la case rouge… et noire ! Pour la sixième année consécutive, le Gym repart du Louis II sans avoir été défait. Nous ramenons même les trois points qui nous font d’ailleurs un bien fou au classement général.
Giovanni est si heureux qu’il me tape sur l’épaule, me serre la main puis finit même par m’embrasser. Le signe indien de Lyon est vaincu. Mauvaise surprise : seuls quelques joueurs viennent nous voir dans le virage. Habituellement, c’est toute l’équipe qui vient chanter et danser avec nous dans ce coin-là du terrain. Les équipes se suivent et ne se ressemblent pas. Les joueurs non plus. Loïc Remy, notre nouvel attaquant, semble plus doué pour dribler les joueurs que pour saluer le public. Dommage.
Accompagné des actionnaires, le Président est aux anges. « Presidente, Presidente, Presidente » chante à l’italienne tout le virage. Victorieux, acclamé par les supporters, voilà déjà deux grandes différences qui le séparent de son homologue monégasque qui doit se demander dans quel étrange monde il a mis les pieds…
C’est avec le sentiment du devoir accompli que l’on regagne notre engin.
Le trajet du retour est malheureusement beaucoup plus calme. Un calme qui tranche avec le tumulte et l’excitation vécus durant cette soirée. Un douloureux retour à la surface après avoir flirté avec l’ivresse des profondeurs. Une remontée si brusque que dans mon âme, elle attise déjà la flamme de la nostalgie. La route de la basse corniche, avec ses perspectives sur les eaux paisibles du port de Villefranche enluneillé, m’offre cependant un réconfort bienvenu. La vie est belle.